Transformer le droit pénal – ou comment réprimer des pollutions pour rester sous les 2°C ?

Chose promise, chose due : voici notre point d’analyse sur le projet de loi climat ! Depuis le 29 mars 2021, ce projet est débattu par les députés. Dans cet article, Robin des droits revient sur le Titre IV du projet de loi.

Cette partie du projet de loi reprend les propositions de l’objectif “légiférer sur le crime d’écocide” porté par la Convention Citoyenne pour le Climat (les 150). Que dit le projet de loi ? Est-ce conforme aux propositions des 150 citoyens ? A vous de voir !

[Article basé sur le projet de loi tel que transmis par le gouvernement. Les débats parlementaires vont probablement modifier le contenu de la loi]

Que voulaient les 150 ? 

L’ambition des 150 était de faire évoluer le droit afin que le pouvoir judiciaire puisse prendre en compte les limites planétaires et sanctionner les pollutions.

Afin d’atteindre cet objectif, les 150 proposaient d’adopter une loi qui protège les écosystèmes de la dégradation et de la destruction, en faisant porter la responsabilité juridique et financière aux auteurs des dégradations.

Cette loi aurait intégré :

  • Les neufs limites planétaires qui sont : le changement climatique, l’érosion de la biodiversité, la perturbation des cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore, le changement d’utilisation des sols, l’acidification des océans, l’utilisation mondiale de l’eau, l’appauvrissement de l’ozone stratosphérique, l’augmentation des aérosols dans l’atmosphère, et l’introduction d’entités nouvelles dans la biosphère.
  • La pénalisation du crime d’écocide,
  • Le devoir de vigilance,
  • Le délit d’imprudence,
  • Et la création d’une Haute Autorité des Limites Planétaires.

Que prévoit le projet de loi ? 

Le projet de loi se décompose en deux propositions (un peu plus à vrai dire, mais les deux propositions présentées ici sont les plus importantes). Accrochez-vous, ce n’est pas évident.

  1. D’abord, il crée un délit pour la mise en danger de l’environnement dans les situations de non-respect des règles posées par l’administration.

Déjà, ce délit concerne donc uniquement les activités qui font l’objet d’un encadrement par l’administration : par exemple, le fait d’exploiter une infrastructure industrielle polluante. 

Ensuite, ce délit sera caractérisé dès lors que le non-respect des règles posées par l’administration entraînera des atteintes graves et durables pour la santé, la flore, la faune, ou la qualité de l’air, du sol, ou de l’eau. Une atteinte “grave et durable” est, selon le projet de loi, une atteinte susceptible de durer dix ans.

Cette atteinte sera punie de cinq ans d’emprisonnement et d’un million d’euros d’amende. Ce montant peut être porté au quintuple de l’avantage tiré de la commission de l’infraction : cette mesure vise à éviter que l’industriel responsable d’un délit préfère payer l’amende plutôt que de faire cesser l’atteinte, qui peut être rentable pour lui.

2. Ensuite, le projet de loi reconnaît un délit général d’atteinte à l’environnement, qui peut, selon les conditions dans lesquelles il est commis, être qualifié de délit d’écocide. 

Le délit général d’atteinte à l’environnement est caractérisé dès lors qu’une pollution des eaux ou de l’air, qui entraîne des effets nuisibles graves et durables sur la santé, la flore ou la faune est commise accidentellement. Pour être graves et durables, les effets de la pollution doivent être susceptibles de durer plus de dix ans.

Ce délit est puni de cinq ans d’emprisonnement et d’un million d’euros d’amende. Ce montant peut à nouveau être porté au quintuple de l’avantage tiré de la commission de l’infraction.

Si jamais la pollution, dans le cadre de ce délit, est commise intentionnellement, alors le délit général d’atteinte à l’environnement devient un délit d’écocide.

Autrement dit, cette qualification d’écocide permet de rehausser le délit général d’atteinte à l’environnement quand les faits sont commis intentionnellement : c’est-à-dire, quand l’atteinte à l’environnement n’est pas accidentelle mais souhaitée par celui qui la commet.

Dans ce cas-là, le délit est puni de dix ans d’emprisonnement et d’une amende de 4,5 millions d’euros, qui peut être portée au décuple de l’avantage tiré de la commission de l’infraction.

Le texte crée aussi un délit en matière d’abandon de déchets qui entraîne une pollution. Dans ce cas là, le délit d’écocide sera caractérisé si l’abandon de déchets a été commis en ayant connaissance du caractère grave et durable d’un tel acte. 

Qu’en pensent les 150? 

Les 150 souhaitaient la création d’un crime d’écocide. Quand ils ont découvert le projet de loi, ils ont attribué la note de 2,7/10 au délit d’écocide proposé par le gouvernement…

En effet, le texte tel que présenté par le gouvernement complexifie encore l’édifice du droit pénal de l’environnement. Si vous avez lu jusqu’ici, cette complexité n’a pas pu vous échapper…

Aussi, la loi semble inapplicable en l’état. L’exemple le plus parlant est celui de l’exigence de dix ans pour qu’une atteinte soit grave et durable : l’atmosphère et les milieux aquatiques sont deux environnements au fort pouvoir de dilution, comment sera-t-il matériellement possible de prouver que les effets d’une atteinte à l’eau ou à l’air pourra y perdurer au moins dix ans ?

A titre indicatif, dans l’affaire de l’Erika les effets de la pollution ont perduré … deux ans.

Pour mémoire, l’Erika est ce navire pétrolier qui a coulé au large des côtes bretonnes le 12 décembre 1999. Le pétrolier transportait 37000 tonnes de fioul pour le compte de Total. Au cours des jours suivants le naufrage, les côtes françaises seront souillées sur près de 400 km pour un bilan de plus de 150 000 oiseaux morts et 250 000 tonnes de déchets.

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Enfin, le projet de loi est accusé de manquer d’ambition. En réalité, il ne fait que renforcer des infractions déjà existantes tout en rendant plus complexe leur application.

Le débat sur l’écocide semble ainsi bien loin d’être clos !

____

 1 – Ce sont les articles 67, 68 et 69 du projet de loi.

 2 – La loi pénale pose des conditions qui, si elles sont remplies, permettent de “caractériser” une infraction, comme une contravention, un délit ou un crime. 

 

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