Le droit des générations futures, ça existe ?

Vos enfants, petits-enfants, arrières petits-enfants, arrières arrières petits-enfants (et j’en passe !) ont-ils le droit de vivre dans un environnement sain, alors même qu’ils ne sont pas encore nés ?

Cette question est assez nouvelle, et pour cause ! Le droit n’est pas censé limiter les droits et libertés des générations présentes au profit des générations futures. En tout cas, jusqu’à présent, ce n’est pas comme cela qu’il a été pensé.

Pourtant, bien que les générations futures n’existent pas encore, leurs conditions de vie sont déjà affectées (pensons aux 0,5° C supplémentaires tous les 20 ans !). 

Alors que la planète se réchauffe, le droit doit-il évoluer et anticiper les conditions de vie des générations futures ? Vaste question.

Tout commence en 1998, avec le projet d’enfouir profondément sous terre des déchets radioactifs, à Bure dans l’Est de la France. Une fois stockés sous terre, ces déchets ne pourront plus en être sortis après 100 ans. Période qui peut sembler dérisoire puisqu’ils restent dangereux pendant des dizaines de milliers d’années.

En deux mots : nous prenons aujourd’hui une décision qui affectera surtout nos descendants, ces fameuses générations futures. N’est-elle pas contraire à leurs droits de vivre dans un environnement sain ? C’est la question posée par les associations, qui se fondent sur notre Charte de l’environnement.

Robin des droits vous explique.

 

La Charte de l’environnement, qu’est-ce que c’est ?

Tout d’abord, nous disposons tous du droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. Ce droit est consacré depuis 2004 dans la Charte de l’environnement[1].

La Charte de l’environnement (la “Charte” pour les initiés) est un texte juridique qui a valeur constitutionnelle depuis 2005. Cela signifie qu’au même titre que notre Constitution, elle est au sommet des règles qui régissent notre vie en société.

La Charte a ainsi une valeur supérieure à celle des lois qui sont adoptées par notre Parlement.

Concrètement donc, toutes les lois adoptées par le Parlement doivent respecter les principes – dont la concrétisation n’est pas toujours évidente – de la Charte.

Ce texte regroupe tous les grands principes du droit de l’environnement. Par exemple, son article 1er indique que “chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé”.

Parmi les autres principes dont vous avez peut-être entendu parler, on peut citer le principe de précaution ou encore le principe du pollueur-payeur.

 

Pour aller plus loin :

Lors de l’élaboration de la Charte sous l’impulsion de Jacques Chirac, l’objectif affiché était d’apporter une réponse politique et juridique “à la hauteur de la menace pour l’environnement[2], en donnant plus de forces aux grands principes du droit de l’environnement.

Mais surtout, il s’agissait d’éduquer politiciens et citoyens aux enjeux écologiques[3].

 

Et qu’en est-il du droit des générations futures ?

Le droit des générations futures n’est pas inscrit noir sur blanc dans la Charte.

Toutefois, son préambule (c’est-à-dire son “introduction”) précise “qu’afin d’assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins”.

A partir de ces mots et de l’article 1er que nous avons cité ci-dessus, dans une décision du 27 octobre 2023, le Conseil constitutionnel a reconnu le droit des générations futures à vivre dans un environnement sain.

Cette décision est d’une importance primordiale pour le droit de l’environnement, dans la mesure où elle ouvre de nouvelles perspectives pour la protection juridique de l’environnement.

 

Le Conseil constitutionnel est une institution composée de 9 membres (que l’on appelle les “Sages”) chargés notamment de s’assurer que la loi respecte effectivement les textes à valeur constitutionnelle.

 

Ses membres sont nommés par le Président de la République et les présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale. Les anciens Présidents de la République font également partie du Conseil constitutionnel.

 

L’affaire du centre d’enfouissement des déchets radioactifs à Bure

La décision du Conseil constitutionnel fait suite à une question posée par des militants antinucléaires (“question prioritaire de constitutionnalité”) relative au stockage des déchets radioactifs en couche géologique profonde à Bure.

L’inquiétude des militants opposés à ce projet d’enfouissement des déchets radioactifs dans la Meuse était que le stockage des déchets nucléaires soit irréversible au-delà de 100 ans. Et ce, alors même que certains déchets radioactifs resteront très dangereux pendant des dizaines de milliers d’années (voire davantage !).

Ils estimaient donc que la définition légale d’un centre de stockage en couche géologique profonde[4] (car tout cela est évidemment encadré par la loi) était contraire au droit des générations futures de vivre dans un environnement sain.

Selon eux, en vertu de ce droit, chaque génération devrait avoir la possibilité d’utiliser les ressources de la terre de manière limitée, en vue de ne pas compromettre l’utilisation des ressources par les générations futures. Concrètement, chaque génération devrait ainsi renoncer aux actes les plus risqués, afin de préserver les droits des générations à venir.

 

La décision du Conseil constitutionnel

Si le Conseil constitutionnel a reconnu l’existence du droit des générations futures à vivre dans un environnement sain, il a considéré que, pour le cas spécifique du projet d’enfouissement des déchets radioactifs à Bure, les garanties de protection étaient suffisantes.

Notamment, les “Sages” ont considéré qu’au vu de la procédure d’autorisation particulière du centre (études au moyen d’un laboratoire souterrain, débat public, rapport d’une commission nationale, avis de l’Autorité de Sûreté nucléaire, avis des collectivités territoriales concernées), de la durée de réversibilité de minimum 100 ans, de l’existence d’une phase pilote visant à vérifier que les déchets sont effectivement récupérables et du fait que seule une loi peut autoriser la fermeture définitive du centre d’enfouissement, les générations futures sont suffisamment protégées[5].

Bref, on retiendra que désormais, le droit des générations futures est reconnu ! Désormais, tout l’enjeu réside dans les conditions selon lesquelles un tel droit sera appliqué… Affaire à suivre !

[1] Article 1er de la Charte de l’environnement, loi constitutionnelle n°2005-205 du 1er mars 2005

[2] Rapport de Nathalie Kosciusko-Morizet, Assemblée nationale, 12 mai 2004.

[3] “La Charte a une haute valeur pédagogique”, cf. Rapport de Nathalie Kosciusko-Morizet, Assemblée nationale, 12 mai 2004.

[4] Article L.542-10-1 du code de l’environnement.

[5] Pour plus de détails sur la décision, vous pouvez consulter le communiqué de presse du conseil constitutionnel (lien) ou, pour les plus courageux, la décision (lien).

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