« Goliath : Toute ressemblance avec des faits réels n’est pas fortuite ».

Je suis allée voir Goliath. En trainant un peu les pieds au départ[1], mais l’idée de voir Pierre Niney à l’écran me réconfortait un peu. Je me disais que sur le fond il y aurait beaucoup d’approximations… Et bien non.  Le moins qu’on puisse dire c’est qu’en droit, le film relève presque du documentaire. Il y a quelques maladresses[2] bien-sûr, mais la plupart des informations retranscrites en lien avec le droit sont plutôt justes. L’occasion de faire le point sur le droit des pesticides à partir des citations du film[3].

 

 

 

« Des cours d’eau sont rayés des cartes »

Vrai ou faux : les cours d’eau ont-il été rayés des cartes officielles et des pesticides peuvent-ils être déversés dans les fossés ?

Plutôt vrai.

Le droit protège les points d’eau et il est formellement interdit de déverser directement des pesticides dans les cours d’eau[4]. En plus, une zone de non traitement d’eau moins 5 mètres et pouvant aller jusqu’à 100 mètres à l’abord des points d’eau doit systématiquement être observée[5].

Mais pour pouvoir appliquer cette règle, encore faut-il connaître les points d’eau. Pendant longtemps, les points d’eau étaient définis par les cartes de l’IGN au 1/25 000ème (c’est-à-dire la précision des cartes de randonnées). Depuis le 4 mai 2017, il revient aux Préfets de cartographier les cours d’eau de leur région à partir de la définition qui en est donnée par le code de l’environnement et des cartes de l’IGN. Or, en pratique certains fossés ou petits cours d’eau (le chevelu, généralement en contact direct avec les parcelles) ont disparus par rapport aux cartes précédentes. La raison ? Les Préfets n’ont pas retenu tous les éléments présents sur les cartes mais seulement certains. Des associations de protection de l’environnement ont dénoncé ce recule de la protection de l’environnement et ont eu gain de cause devant plusieurs tribunaux[6].

 

 

 

« Votre enfant est en danger, votre santé est en danger, certains le savent et nous mentent délibérément »  

Vrai ou Faux : les firmes de la pétrochimie ont le droit de dissimuler des informations sur la dangerosité des pesticides ?

Faux.

Au stade de l’évaluation de leurs produits, les fabricants de pesticides doivent transmettre toutes les données disponibles dont ils ont connaissance aux autorités d’évaluation. En plus, ils doivent produire une revue de littérature exhaustive des études publiées sur leur produit ou leur substance[7]. En effet, lors de l’évaluation des pesticides, les agences de contrôle ne conduisent pas elles-mêmes les tests mais se basent sur le dossier transmis par les fabricants[8].  

Après la mise sur le marché de leurs produits, les firmes ont une obligation de « phytopharmacovigilance ». Autrement dit, si elles apprennent que leurs produits ont des effets inquiétants ou imprévus sur la santé ou l’environnement, elles sont normalement obligées de le communiquer aux agences de contrôle[9]. Le droit européen prévoit même une obligation pour les fabricants de recenser les problèmes qui auraient pu survenir suite à l’utilisation de leurs produits et les oblige à communiquer ces informations tous les ans à l’Anses[10].

 

 

 

 

« Dans ma région, comme Margot, les gens meurent en silence. »

Vrai ou faux : il faut toujours aller devant le juge pour faire reconnaître une maladie professionnelle liée aux pesticides ?

Ni vrai, ni faux.

En France, certaines maladies (Parkinson et certains cancers) sont reconnues comme des maladies professionnelles pour les personnes ayant été en contact avec des pesticides[11]. Dans ces cas de figure, il est relativement « facile » – même si cela demande beaucoup de patience administrative – de faire reconnaître sa maladie comme une maladie professionnelle. Le fond d’indemnisation des victimes de pesticides créé en 2020 vise aussi à améliorer la prise en charge des personnes atteintes de maladies en lien avec une exposition aux pesticides[12]. Mais cela n’a pas toujours été le cas. Surtout, pour les maladies non reconnues par la sécurité sociale des agriculteurs comme maladies professionnelles, il devient difficile d’établir un lien de causalité entre l’exposition aux pesticides et la maladie développée. Pour se faire indemniser, de nombreuses victimes sont donc amenées à saisir le juge pour obliger leur caisse d’assurance maladie à les indemniser[13].

 

 

 

« C’est de la folie de voter un texte aussi important, dans un parlement vide à 3 heures du matin ».  

Vrai ou Faux : c’est le parlement européen qui vote l’autorisation des pesticides ?

Faux.

Les pesticides sont composés de substances actives qui agissent sur les « nuisibles » et d’autres composés chimiques qui permettent par exemple de mieux pénétrer dans la plante. Chaque composé est d’abord autorisé individuellement.

Les substances actives autrement dit les principes actifs, sont homologués par la Commission européenne après un avis de l’EFSA (l’agence européenne pour la sécurité alimentaire) sur la base d’un dossier soumis par le fabricant de pesticides.  Les États membres autorisent, eux, les produits finaux. En France, c’est l’Anses qui autorise ou interdit les pesticides[14].

Pour prendre un exemple connu, le glyphosate est homologué au niveau européen, mais le produit Roundup Ready vendu aux agriculteurs devait obtenir une autorisation de l’Anses pour être commercialisé en France.

 

A noter : sur le plan « procédural », il est possible de débattre et de voter des lois à l’Assemblée nationale, au Sénat ou même au Parlement européen jusque tard dans la nuit… même si très peu d’élus sont présents ! Il n’y a pas toujours besoin de quorum pour que les lois soient votées !

 

 

« Ne vous racontez jamais que vous n’avez pas eu le choix. Parce que le choix vous l’avez eu. Et vous avez choisi le fric. »

Vrai ou Faux : on peut négocier une somme d’argent avec notre adversaire pour éviter d’aller devant le juge ?

Vrai.

Ce procédé s’appelle une transaction, et on dit que l’on « transige ». Concrètement, une transaction est une négociation qui permet de résoudre un litige. Elle revient à renoncer à son droit à saisir le juge[15]. On dit que la transaction éteint l’action en justice. En matière pénale, il n’est pas possible de transiger. Pour les litiges de la responsabilité civile (par exemple le décès d’un proche par accident ou en raison d’un produit défectueux) cela est complètement possible. Le contrat passé avec Phytosanis est donc valable… quoiqu’on puisse contester le fait que l’avocat joué par Gilles Lelouche n’ait pas été convié ni même informé de ce rendez-vous. Cela n’est pas très vraissemblable… de ce qui se serait passé dans la réalité !

 

Et vous vous en avez pensé quoi de Goliath ? Quelles questions sur les pesticides vous posez-vous encore ? Si ce sujet vous intéresse, vous pouvez relire nos articles sur les néonicotinoïdes ici et notre article sur les OGM là

 

 

***

 

[1] Pour les lecteurs qui ne le savent pas, je fais ma thèse sur le droit des pesticides ! Découvrez les autrices de ce blog sur notre page « Qui sommes nous »!

[2] Ainsi, l’avocat joué par Gilles Lellouche se présente comme avocat en « droit environnemental », alors qu’un juriste dirait plutôt droit de l’environnement.

[3] Je ne l’ai vu qu’une seule fois, alors peut-être que certaines sont approximatives ! Je m’en excuse.

[4] Arrêté du 4 mai 2017, article 4.

[5] Arrêté du 4 mai 2017, article 12.

[6] France nature environnement notamment avec quelques décisions de justice sur ce sujet

TA Lyon, n°1800136, 10 octobre 2019, TA Montpellier, n°1802562, 5 novembre 2019

[7]  Règlement n°1107/2009 du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, articles 8 et 33.

[8] Idem précédemment. On utilise ici une procédure très similaire à celle des médicaments.

[9] Règlement n°1107/2009 du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, art. 56.

[10] Règlement n°1107/2009 du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, art. 56., §4.-

[11] Annexe II du code rural et de la pêche maritime.

[12] Code de la sécurité sociale, Article L491-1

[13] A ce titre, voir les différents écrits des professionnels du droit. Par exemple, Me Lafforgue, Les droits des travailleurs victimes des pesticides, revue Energie Environnement Infrastructure (lexis nexis), n°6 , juin 2018, dossier n°19.

[14] Code rural, article R253-2 et R.253-5

[15] Code civil, article 2044

Partagez l'article

Facebook
Twitter
WhatsApp
Email

Plus
D'articles