Les limites planétaires sont-elles aussi des limites juridiques ?

Si les sujets environnementaux t’intéressent, il est très possible que, comme moi, tu lises des sites spécialisés, ou encore que tu sois abonné(e), sur les réseaux sociaux, à des médias qui t’informent à ce propos.

Ces derniers jours, tu n’as ainsi pas pu louper cette information : la 6ème limite planétaire a été franchie, celle du cycle de l’eau douce. 

 

 

Pour comprendre ce qui se joue scientifiquement, je te propose de directement te référer à ces articles[1]

Pour poser le sujet, il faut tout de même définir ce le concept de “limites planétaires”. 

Très simplement, les limites planétaires sont des seuils au-delà desquels les équilibres biophysiques de la planète se rompent. En d’autres termes, ces limites ne doivent pas être dépassées si l’humanité veut pouvoir se développer dans un écosystème sûr, c’est-à-dire évitant les modifications brutales et difficilement prévisibles de l’environnement planétaire.

Neuf processus biophysiques qui, ensemble, régulent la stabilité de la planète, ont été identifiés[2]: le changement climatique, l’érosion de la biodiversité, la perturbation des cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore, les changements d’utilisation des sols, l’acidification des océans, l’utilisation mondiale de l’eau, l’appauvrissement de l’ozone stratosphérique, l’augmentation des aérosols dans l’atmosphère, l’introduction d’entités nouvelles dans la biosphère. 

Point important : ces limites sont interdépendantes, et ainsi, la dégradation de l’une a également des impacts sur les autres. 

Réflexe de juriste, quand je suis confrontée à ce genre d’informations, j’ai je me demande tout de suite si ces données scientifiques ont une existence juridique. 

Petit aparté à l’intérieur de mon cerveau : le cycle de l’eau douce peut manifestement être modifié jusqu’à une certaine limite; au-delà de cette limite des changements irréversibles sur l’écosystème ont lieu et la vie sur terre peut être mise en danger.

Il me semble donc raisonnable de faire en sorte que cette limite ne soit pas dépassée. 

Le droit étant notre outil principal pour réguler les comportements et les activités humaines, intègre-t-il la notion de limites planétaires ? 

 

1. Les limites planétaires sont difficiles à retranscrire en droit … 

 

Écrire le droit est un exercice complexe[3].

Arrête ta lecture ici pour lever les yeux et pour réfléchir quelques secondes. 

Quel arsenal juridique pourrait encadrer la notion de limites planétaires ? 

Les seuils des limites planétaires sont des seuils globaux et collectifs. 

Dès lors, il est très difficile de les transcrire au niveau individuel des activités et comportements humains. 

Comment le matérialiser ? Un seuil, annuel par exemple, devrait-il être fixé pour chacun d’entre nous, en fonction de nos modes de vie ? Pour les activités polluantes, par exemple l’industrie, des seuils devraient-ils être fixés par site industriel ? Par secteur ? 

Tu l’as saisi, la question est épineuse. 

Avant d’édicter une norme, encore faut-il pouvoir la concevoir. Ici, cette question reste entière.

 

2 … Mais ont tout de même une timide existence juridique

 

Le concept de limites planétaires ne fait donc, aujourd’hui, pas l’objet d’une protection juridique particulière. 

Toutefois, il est intéressant de noter l’apparition du concept en droit français à l’article L.110-1-1 du Code de l’environnement, issu de la loi n°2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire. 

Cet article pose les limites planétaires comme étant un cadre qui doit guider le développement de l’économie circulaire : 

“La transition vers une économie circulaire vise à atteindre une empreinte écologique neutre dans le cadre du respect des limites planétaires […]”

Ici, le concept de limites planétaires est utilisé comme un objectif que la transition vers une économie circulaire doit nous permettre d’atteindre. 

Néanmoins, il n’est pas défini. En l’état, il n’est qu’un vague objectif, sans réel effet juridique qui pourrait permettre d’encadrer des activités. 

 

3. Vers une reconnaissance du concept ? 

Face à l’absence d’un cadre juridique clair visant à ne pas dépasser les limites planétaires, des initiatives ont vu le jour afin de le créer. 

La plus aboutie est celle de la Convention Citoyenne pour le Climat. 

Les 150[4] ont en effet proposé deux axes pour donner une consistance juridique au concept[5]

  • En l’appliquant au crime d’écocide, qui serait caractérisé en cas de “dommage écologique grave consistant en un dépassement manifeste et non négligeable d’au moins une des limites planétaires”. 

 

  • En en faisant une condition de légalité de l’action administrative – c’est-à-dire de la manière dont sont menées les politiques publiques. Pour cela, les 150 avaient prévu l’inclusion de la référence aux limites planétaires parmi les engagements à satisfaire au titre du développement durable[6]. Une définition et des seuils pour les limites planétaires étaient également prévues par le projet des 150. 

 

Afin de rendre effectif cet ajout, il était proposé d’instituer une Haute Autorité Chargée de veiller au respect des limites planétaires. Cette institution  aurait été consultée sur tous les projets de loi, d’actes réglementaires, les plans et les programmes susceptibles d’avoir un impact significatif sur les limites planétaires. Elle aurait également était consultée pour évaluer la compatibilité des autorisations administratives. Enfin, elle aurait accompagné les entreprises tenues d’élaborer un plan de vigilance afin de les aider à évaluer la compatibilité de leur plan à la protection des limites planétaires.

Ces propositions n’ont pas été transcrites dans le droit, la question posée par les seuils n’ayant pas été résolue.  

Le dépassement récent de cette nouvelle limite planétaire, le cycle de l’eau douce, pourrait être l’opportunité de rouvrir les discussions à ce sujet. 

Et peut-être, de trouver un moyen juridique de protéger les milieux de ces atteintes, en contournant l’épineuse question des seuils. 

 

 

Vous avez une idée? 

 

 

 

[1] https://bonpote.com/la-6e-limite-planetaire-est-franchie-le-cycle-de-leau-douce/ ou encore https://www.francetvinfo.fr/meteo/climat/une-sixieme-limite-planetaire-vient-d-etre-franchie-celle-du-cycle-de-l-eau-douce_5109232.html

[2] Etude regroupant 26 chercheurs, menée par Johan Rockström du Stockolm Resilience Center et Will Steffen de l’Université nationale australienne, en 2009, disponible ici : https://www.science.org/doi/10.1126/science.1259855?cookieSet=1

[3] Qui s’appelle la légistique : Ensemble des règles, principes et méthodes utiles à la conception et à la rédaction des textes législatifs et réglementaires, visant, du point de vue de la forme et du fond, à assurer la cohérence et l’efficacité de ceux-ci.

[4] Dont nous avons déjà beaucoup parlé, dans cette série d’articles : https://robindesdroits.fr/loi-climat/

[5] Cette initiative est résumée ici : https://propositions.conventioncitoyennepourleclimat.fr/pdf/tl/ccc-senourrir-legiferer-sur-le-crime-d-ecocide-tl.pdf

[6] Article L.110-1 du Code de l’environnement, point III.

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