Touché mais pas coulé ? A propos des JO de 2024 à Paris.

Encore 1009 jours et quelques heures, et les Jeux Olympiques de 2024 démarreront, en France[1]. Bonne ou mauvaise nouvelle ? Quoiqu’il en soit, la construction des équipements sportifs ne contente pas tout le monde. Récit d’une première bataille juridique.

La commune d’Aubervilliers, banlieue populaire de la capitale, doit accueillir un centre nautique de ce grand évènement sportif.  Le maire de la commune a donc délivré, le 21 juillet 2021, un permis de construire pour ce centre. Il comprend une piscine et un restaurant. Cet équipement flambant neuf servira de bassin d’entraînement aux équipes !

D’après le projet, la piscine sera construite sur des jardins familiaux, une gare de bus et un parking.  Certains particuliers qui cultivent les jardins ne sont pas très heureux de voir leur lopin de terre disparaître au profit d’un centre nautique. Ils ont donc décidé, aux côtés de deux associations, d’attaquer le permis de construire délivré par le maire et de demander au juge la suspension des travaux. La procédure qu’ils utilisent (le référé) est une procédure d’urgence qui permet, pour l’instant, d’interrompre les travaux.

C’est ainsi que la bataille commence. Dans sa décision du 20 septembre 2021[2], le juge accepte de suspendre les travaux de construction. Pourquoi ou plutôt comment le justifie-t-il ?

 

Petit point de vocabulaire

D’un côté, les particuliers et associations attaquent le permis de construire en justice, ce sont les « requérants ». Cela implique pour eux de trouver tous les arguments (juridiques) qu’ils peuvent pour démontrer que le permis de construire est illégal.

De l’autre, le maire d’Aubervilliers est le « défenseur » : il défend le permis qu’il a accordé, en essayant de démontrer au juge qu’il est légal.

 

1. Pourquoi la piscine pourrait-elle ne pas voir le jour ?

En termes juridiques, cela revient à se demander quels arguments les requérants ont mis en avant pour démontrer que le permis de construire était illégal.

Plongeons un instant dans le monde palpitant du droit de l’urbanisme.

  • Le permis de construire, une autorisation à obtenir

Le permis de construire est une autorisation d’urbanisme. Le maire peut accorder ce permis, qui doit lui être demandé[3]. Comme son nom l’indique, le permis vous permet de faire quelque chose, en l’occurrence construire.

Si le maire peut accorder un permis de construire, il ne peut pas l’accorder à n’importe quelle condition : il doit s’assurer que sa décision est légale. Le permis de construire s’inscrit dans un cadre plus global et doit respecter à ce titre les autres documents d’urbanisme. Quels sont-ils ?

Il existe de nombreux documents d’urbanisme et l’idée, ici, est de ne vous présenter que le plan local d’urbanisme (PLU).

  • Le PLU, les règles à respecter

Le PLU est un document qui, à l’échelle d’une commune, fixe les règles générales d’utilisation du sol et d’aménagement de l’espace. Certaines communes peuvent être couvertes non pas par un PLU, mais par un PLUi – un plan local d’urbanisme intercommunal. A la différence d’un PLU, un PLUi couvre le territoire de plusieurs communes[4].

Un PLU (ou PLUi) divise l’espace en plusieurs zones, que ce soit des zones urbaines et des zones à urbaniser ou, au contraire, des zones naturelles ou agricoles et forestières à protéger[5]. Le PLU prévoit aussi des règles concernant la qualité architecturale, environnementale et paysagère des constructions. Par exemple, il peut imposer des règles concernant l’aspect extérieur des constructions, leurs dimensions ou leurs conditions d’alignement sur la rue[6].

Là où cela devient intéressant, c’est que le PLU s’impose aux autorisations d’urbanisme – et donc aux permis de construire, ces derniers étant des autorisations d’urbanisme. Le permis de construire doit être conforme au PLU[7]. Très concrètement, le permis de construire ne peut pas autoriser ce que le règlement du PLU interdit[8]. En d’autres termes, lorsqu’il délivre le permis, le maire n’a pas de marge d’appréciation et doit respecter strictement le PLU.

A partir de là, c’est très simple : pour dire qu’un permis de construire est illégal, on peut démontrer qu’il n’est pas conforme au PLU régissant le terrain sur lequel la construction demandée est envisagée.

Revenons donc à notre question initiale, à savoir quels étaient les arguments invoqués par les 2 associations et les 3 particuliers d’Aubervilliers pour contester le permis de construire du centre nautique.

  • Le projet de centre nautique est-il illégal ?

Les requérants ont mis en avant deux non-conformités du permis au PLUi d’Aubervilliers.

Pour commencer, le PLUi d’Aubervilliers impose que les constructions à destination de commerce (tel un restaurant) soient nécessaires au fonctionnement de l’équipement envisagé[9].

Le projet de centre nautique comporte un commerce correspondant à un espace de restauration. Or, le juge observe que ce restaurant disposera d’une totale indépendance fonctionnelle puisqu’il sera accessible à une clientèle extérieure à la piscine et qu’il sera ouvert en dehors des plages horaires du centre nautique. En conséquence, le restaurant n’est pas nécessaire au fonctionnement du centre nautique. Le permis de construire ne respecte donc pas cette première règle imposée par le PLUi.

Ensuite, le PLUi impose de compenser l’abattage d’un arbre de plus de 20 mètres de hauteur (à maturité) par la plantation d’un autre arbre[10].

Pour ce qui concerne la piscine d’entraînement à Aubervilliers pour les JO, le juge note que la réalisation du centre nautique conduirait à abattre 67 arbres… mais que la replantation de seulement 47 arbres est prévue. Le permis de construire ne respecte donc pas la règle imposée par le PLUi en ce qui concerne l’obligation de compensation des arbres abattus.

L’obligation de compensation des arbres abattus et celle d’avoir un restaurant nécessaire au fonctionnement du centre nautique ne sont pas respectées. Le juge en conclut que ces deux éléments faisaient naître un doute sérieux sur la légalité du permis de construire.

 

2. Concrètement, qu’a décidé le juge ?

Dans notre cas, le juge a considéré que le permis était très probablement illégal. Il a donc ordonné que le permis de construire ne soit pas exécuté (il « suspend » son exécution), c’est-à-dire que tous les travaux liés à la construction du centre nautique cessent.

Précision pour aller plus loin

La procédure en cause était une procédure de référé : c’est une procédure rapide qui permet justement au juge de suspendre un permis de construire lorsqu’il y a urgence à le faire. Mais cette procédure ne permet pas au juge d’annuler le permis de construire. C’est la raison pour laquelle le juge parle d’un « doute sérieux sur la légalité du permis de construire » et non pas de l’illégalité du permis. Pour demander l’annulation du permis de construire, les associations et particuliers ont formé un autre recours, qui prendra, lui, plus de temps[11].

 

3. Le centre nautique risque-t-il donc de ne jamais être construit ?

Oui, mais non.

Oui, parce qu’en l’état, il semble bien que le permis octroyé ne soit pas conforme au PLUi d’Aubervilliers, et soit donc illégal. Pour le moment, les travaux de construction du centre nautique sont donc à l’arrêt.

Mais non, pour deux raisons. Premièrement, le permis n’est pas annulé – juste suspendu – et le juge à qui son annulation est demandé pourrait, lui, estimer que le permis est légal en l’état. Mais surtout et deuxièmement, rien n’empêche à la commune d’Aubervilliers de faire une demande de permis de construire modificatif[12]. Une telle modification du permis de construire peut en effet être demandée pour des modifications limitées du projet initial, ce qui permet de régulariser d’éventuelles omissions du permis de construire initial. Dans notre cas, le permis de construire modificatif pourrait notamment prévoir de replanter 67 arbres et de modifier les conditions d’exploitation du restaurant pour les rendre conformes aux PLU. Le centre nautique pourrait alors voir le jour.

Touché. Mais pas coulé.

 

***

 

[1] Le décompte est accessible au lien suivant : https://www.paris2024.org/fr/.

[2] Cour administrative d’appel de Paris, 20 septembre 2021, n°21PA04871.

[3] Parfois les services de l’État ou le président de l’EPCI.

[4] Dans certaines communes, ce n’est pas un plan local d’urbanisme (PLU) mais un plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi) qui régit les règles générales d’utilisation du sol sur le territoire de la commune. On trouve des PLUi lorsque plusieurs communes se sont regroupées sous la forme d’un établissement public de coopération intercommunale (EPCI), pour partager des compétences en commun et, en particulier, établir un PLUi. Cf. Article L.151-3 du code de l’urbanisme.

[5] L’article L.151-2 du code de l’urbanisme prévoit que le PLU comprend un rapport de présentation, un projet d’aménagement et de développement durable, des orientations d’aménagement et de programmation, un règlement et des annexes. Chacun de ces éléments peut comprendre un ou plusieurs documents graphiques. La détermination des zones se fait dans le règlement. Cf. également l’article L.151-9 du code de l’urbanisme.

[6] Article L.151-18 du code de l’urbanisme.

[7] Article L.421-6 du code de l’urbanisme.

[8] Évidemment, le règlement du PLU ne peut pas tout interdire – ni tout autoriser – et, si le permis de construire doit être conforme au PLU, le PLU lui-même doit être compatible avec d’autres documents d’urbanisme et la loi. Cf. Article L.131-3 du code de l’urbanisme.

[9] Article 1.2 du règlement du plan local d’urbanisme intercommunal d’Aubervilliers.

[10] Article 3.2.3 du règlement du plan local d’urbanisme intercommunal d’Aubervilliers.

[11] Article L.521-1 du code de justice administrative.

[12] Article A.431-7 du code de l’urbanisme.

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