Produits “neutre en carbone” et greenwashing

Hier, j’ai regardé la boîte de poissons surgelés que je m’apprêtais à acheter de plus près et là, quelle surprise ! J’étais sur le point d’acheter un produit “avec une empreinte carbone nulle”. Oh joie !

Deux secondes de réflexion plus tard, j’ai pensé qu’il y avait peut-être anguille sous roche : ce n’est pas nouveau, il a quand même fallu aller le pêcher, mon poisson, et s’il n’était pas sauvage, il a au moins fallu le nourrir pendant sa croissance. Je vous passe le détail du processus de croissance du poisson mais tout cela semble demander un minimum d’énergie…qui va de pair, nécessairement, avec une empreinte carbone. 

Je n’ai pas pu résister face à ce qui me semblait être une incohérence et, de retour chez moi, ni une ni deux, j’ouvre mon ordinateur, décidée à comprendre pourquoi ou comment une entreprise peut apposer sur un produit que celui-ci n’a pas d’empreinte carbone.

Scénario encore fictif mais plus pour très longtemps puisque les nouvelles règles, présentées ci-dessous, s’appliquent à partir de 2023.

Du “Zéro carbone” en veux-tu, en voilà

Depuis août 2021, la loi interdit d’affirmer dans une publicité qu’un produit ou un service est neutre en carbone ou d’employer toute formulation de signification ou de portée équivalente.[1] Le 13 avril 2022, la loi a été précisée par un texte, pris non pas par le Parlement (qui fait la loi) mais par un ministre (qui édicte un décret). Le texte en question donne quelques exemples des allégations visées par la loi : ce sont celles qui affirment qu’un produit ou un service est “neutre en carbone”, “zéro carbone”, “avec une empreinte carbone nulle”, “climatiquement neutre”, intégralement compensé”, “100% compensé” ou toute autre formulation équivalente.[2]

Serait-ce donc interdit de dire que mon poisson a une empreinte carbone nulle ?

En réalité, le principe posé par la loi Climat et Résilience[3] est directement assorti d’une exception. Il est ainsi interdit d’affirmer dans une publicité qu’un produit ou un service est neutre en carbone… à moins de rendre plusieurs éléments accessibles aisément au public. 

Tu comprends aussi bien que moi que si on ne peut pas faire quelque chose à moins de respecter des conditions, c’est bien qu’on peut le faire en respectant ces conditions.

Trois informations doivent donc être rendues disponibles au public par l’annonceur qui utilise une des allégations environnementales visée par la loi, pour que son allégation environnementale soit légale – autrement dit, pour qu’on ne puisse pas dire qu’il s’agit de greenwashing.[4] 

  • La première est un bilan d’émissions de gaz à effet de serre intégrant les émissions directes et indirectes du produit ou du service, avec la méthodologie d’établissement de ce bilan. Le bilan doit notamment préciser les pays ou zones géographiques dans lesquels ont lieu les émissions, et les émissions dues au transport international, dans la mesure où ces données sont disponibles.

 

  • La deuxième information à publier est la démarche grâce à laquelle les émissions de gaz à effet de serre du produit ou du service sont prioritairement évitées, puis réduites et enfin compensées. Il faut également déterminer une trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre associées au produit ou au service dont il est fait la publicité ainsi qu’établir des objectifs de progrès annuels quantifiés, couvrant au moins les dix années à venir.

 

  • Et, enfin, l’annonceur doit partager avec le public les modalités de compensation des émissions de gaz à effet de serre résiduelles. Il est prévu qu’il détaille notamment les efforts mis en œuvre pour assurer la meilleure cohérence possible entre les zones géographiques dans lesquelles les projets sont réalisés et où ont lieu les émissions.

 

Concrètement, ces informations doivent être publiées sur le site internet ou l’application mobile de l’annonceur, et un QR code doit être apposé sur l’emballage du produit menant vers ces informations.[5] Celles-ci sont contenues dans plusieurs annexes d’un rapport, mis à jour chaque année et pendant toute la durée de commercialisation du produit ou service.

Sur mon emballage de poisson, je dois donc trouver un QR code à flasher qui me mène vers les informations publiées.

La sanction : 100 000€ d’amende pour greenwashing

Que risque l’annonceur qui indique que son produit ou son service est “neutre en carbone” alors qu’il ne publie pas les informations précitées ?

100 000€ d’amende, et ce montant peut être augmenté pour atteindre le montant total des dépenses consacrées à l’opération illégale.

Si mon emballage de poisson indique qu’il est “neutre en carbone” (ou qu’il a une “empreinte carbone nulle”) sans que je n’aie accès aux informations précitées, la loi n’est pas respectée.

En pratique, l’administration qui s’aperçoit qu’un annonceur ne respecte pas ses obligations de publication va, dans un premier temps, mettre ce dernier en demeure de les respecter. Elle lui indique qu’il dispose d’un délai d’un mois pour se conformer à la loi et qu’autrement, il encourt une amende. Si, une fois ce mois écoulé, l’annonceur n’a pas modifié sa pratique pour respecter la loi, il doit payer l’amende.[6]

« Faites-vous du greenwashing ? »

L’Ademe, l’agence gouvernementale de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, a publié un Guide anti-greenwashing[7] et un Avis d’expert[8] sur l’utilisation de l’argument de neutralité carbone dans la communication, avant la publication des précisions récentes de la loi, exposées plus haut. 

Selon elle, le terme de neutralité induit nécessairement le public en erreur : “Sur un plan marketing et communication, l’usage abusif et indu de l’argument de « neutralité » est problématique : il induit par définition le public en erreur, il repose sur le concept de « compensation » qui recouvre des réalités différentes, il empêche de repérer les acteurs qui s’engagent réellement, il contribue à la défiance des publics envers les discours des organisations et il représente un frein à la diffusion de récits mobilisateurs”.[9]

Sur ces belles paroles, je vais cuisiner mon poisson “zéro carbone”, vérifier que le QR code de son emballage m’a mené à des informations compréhensibles et me demander si me faire croire à moi, consommatrice, que mon poisson a une “empreinte carbone nulle” est vraiment très pertinent.

***

 

[1] Article L.229-68 du code de l’environnement.

[2] Article D.229-106 du code de l’environnement.

[3] Loi n°2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le changement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

[4]  Les règles qui suivent entrent en vigueur le 1er janvier 2023. Cela laisse le temps aux annonceurs de s’adapter et d’anticiper la réalisation des rapports demandés. Cf. article 3 du décret n°2022-538 du 13 avril 2022 définissant le régime de sanctions applicables en cas de méconnaissance des dispositions relatives aux allégations de neutralité carbone dans la publicité et article 2 du décret n°2022-539 du 13 avril 2022 relatif à la compensation carbone et aux allégations de neutralité carbone dans la publicité.

[5] Article D.229-106 du code de l’environnement.

[6] Article R.229-110 du code de l’environnement.

[7] Disponible sous ce lien : https://antigreenwashing.ademe.fr/sites/default/files/docs/ADEME_GREENWASHING_GUIDE.pdf.

[8] Disponible sous ce lien : https://librairie.ademe.fr/developpement-durable/5335-utilisation-de-l-argument-de-neutralite-carbone-dans-les-communications.html.

[9] Ademe, Avis d’expert sur l’utilisation de l’argument de neutralité carbone dans la communication, 1er avril 2021, page 6.

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