Production en masse, problèmes en masse ?

Les fêtes approchent à grands pas et les idées de cadeaux fusent dans nos têtes. Sous nos sapins, il est certain que de nombreux vêtements seront emballés, attendant d’être arborés fièrement pour les plus chanceux, ou mis au placard pour les malheureux du Père Noël. 

« Made in France » ? Cette étiquette se fait rare, remplacée par les fameux « Made in China », « Made in Bangladesh », « Made in Cambodge », et autres pays lointains. Pourtant, ces vêtements produits à l’autre bout du monde, nous les avons achetés en France auprès de marques françaises ou européennes. 

En France, les marques sont soumises à de multiples normes visant à protéger l’environnement et les travailleurs. Mais, lorsqu’elles produisent à l’autre bout du monde, quelles normes doivent-elles respecter ?   

Quelles sont les obligations des marques qui produisent à l’étranger en matière environnementale ? 

 

Pour répondre à cette question, revenons quelque peu en arrière. Le 24 avril 2013 au Bangladesh, le bâtiment « Rana Plaza » s’effondre. Celui-ci accueillait plusieurs milliers d’ouvriers travaillant pour les marques occidentales dont les vêtements remplissent nos placards. Ce jour ci, plus de 1100 personnes perdent la vie et près de 2000 personnes sont blessées. 

 

Cet événement est un choc pour l’opinion publique et révèle les problématiques engendrées par la production de masse et l’intermédiation de masse. Concrètement, les marques qui nous habillent ne possèdent aucune usine mais travaillent avec de nombreux fournisseurs et sous-traitants. Ce sont les fournisseurs et sous-traitants qui produisent les vêtements dans leurs usines, puis les vendent aux marques occidentales – qui nous les revendent ensuite en magasin. Un seul groupe français peut travailler avec des dizaines voire des centaines de milliers d’entreprises. 

Sous le choc, nos représentants, les députés, vont s’emparer du sujet. La loi sur le devoir de vigilance est adoptée en 2017. Elle concerne les grands groupes d’entreprises et instaure un devoir de vigilance. 

La loi sur le devoir de vigilance

Cette loi tient une société-mère responsable de ses propres activités mais aussi de celles de ses filiales, fournisseurs et sous-traitants. Être responsable, c’est répondre de ses actes : si l’entreprise ne respecte pas la loi et commet ainsi une faute, elle pourra être condamnée par un juge à indemniser les victimes ou à réparer la situation.

 

Ca veut dire quoi « société-mère » et « filiale » ? 

Imaginons une société A, qui possède une partie des sociétés B, C et D. B, C et D sont des filiales tandis que A est la mère, à la tête du groupe de sociétés. En pratique, les filiales sont autonomes de la société-mère, mais peuvent par exemple se voir fixer des objectifs particuliers par la société mère. 

 

Chaque entreprise concernée par la loi de 2017 doit désormais publier chaque année un « plan de vigilance ». Ce plan, c’est un rapport qui identifie et classe les risques en matière de droits humains et libertés fondamentales, de santé et de sécurité des personnes, ainsi que d’environnement.

L’évaluation est le maître mot de la loi sur le devoir de vigilance. Les filiales, les fournisseurs et les sous-traitants doivent être évalués régulièrement. Les entreprises sont également obligées de mettre en place des actions d’atténuation et de prévention des atteintes graves à l’environnement et aux droits humains.  Elles doivent aussi établir un mécanisme d’alerte, qui permet à toute personne de signaler à l’entreprise des risques ou dangers dans les matières couvertes par le plan (droits de l’Homme, environnement…). Enfin, les entreprises doivent évaluer et suivre les mesures prises. Par exemple, le plan d’un géant de l’énergie prévoit des procédures d’évaluation périodique des risques sur les sites afin d’éviter les accidents industriels. Plus précisément, pour limiter les risques, il est notamment prévu de former le personnel, de tester régulièrement les stratégies et moyens de secours et d’analyser systématiquement les événements graves dans le but de ne pas reproduire les mêmes erreurs. 

En bref, la loi sur le devoir de vigilance se fonde sur l’obligation des entreprises concernées d’identifier l’ensemble des risques possibles afin de les éviter ou de les minimiser. 

En cas de non-respect de cette obligation, c’est-à-dire dès lors que l’entreprise ne réalise pas son plan de vigilance, ne le publie pas ou le réalise de manière peu satisfaisante, sa responsabilité peut être engagée. Cela signifie que si un dommage à l’environnement ou aux personnes est causé, un juge pourra condamner l’entreprise au paiement de dommages et intérêts aux victimes. 

 

Indirectement, cette loi s’applique dans le monde entier, partout où sont implantés les filiales et sous-traitants des grands groupes français. En ce sens, cette loi est souvent citée comme un exemple à suivre par les autres pays. 

Mais concrètement, qu’est-ce que cela implique ?

 

Imaginons une entreprise française qui travaille avec un sous-traitant indien. Ce sous-traitant déverse des polluants dans un fleuve. L’entreprise française peut-elle se voir sanctionner ? 

 

Tout d’abord, les salariés du groupe mais aussi les collaborateurs extérieurs et occasionnels ont désormais la possibilité d’alerter l’entreprise française des comportements du sous-traitant, pour la prévenir de cette pollution, grâce au mécanisme d’alerte mis en place.  

 

Toute personne intéressée, par exemple une association de défense de l’environnement, peut alors écrire à la société française pour réclamer le respect de son obligation d’évaluation et de suivi des sous-traitants. A ce stade, la réputation de l’entreprise peut déjà être affaiblie mais la sanction ne sera pas juridique.

Un juge français peut-il condamner une société pour une pollution causée en Inde ?

Répondre à cette question n’est pas une mince affaire… En l’état, la loi étant récente, nous n’avons pas suffisamment de recul pour évaluer son efficacité. 

En principe, un juge ne pourrait condamner la société française au paiement de dommages et intérêts que s’il est démontré que cette pollution aurait pu être évitée par la mise en œuvre effective du plan. Mais il n’est pas aisé d’apporter une telle preuve… Et pour le moment, aucune entreprise n’a été condamnée en France à réparer un dommage causé à l’autre bout du monde pour manquement à son devoir de vigilance. 

Affaire à suivre…

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1 –  https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/cge/devoirs-vigilances-entreprises.pdf

2 – Loi n° 2017-399 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre.

3 – La loi est applicable aux entreprises qui ont plus de 5 000 salariés en France ou plus de 10 000 salariés en France et à l’étranger.  

4 – Ce plan se trouve dans le rapport de gestion des entreprises concernées (article L.225-102-4 du code de commerce. Ce rapport est élaboré chaque année par la direction de la société dans le but d’informer les associés de la gestion de l’entreprise et des projets futurs. Dans certains cas, les entreprises mettent en valeur leur plan de vigilance sur leur site internet afin de faciliter sa prise de connaissance par les citoyens. 

5 – Article L.225-102-5 du code de commerce. 

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